La Vie En Rose

Il y a trois ans, elle est revenue de l'enfer personnel et professionnel avec son Emancipation musicale. E=MC², son onzième album studio, nous offre l'équation de l'épanouissement de Mariah Carey. A 38 ans, la diva n'a jamais été aussi radieuse.

Soul R&B (FR) April/May 2008. Text by Olivier Gangemi.

La journée promettait d'être longue. Elle le fut. Heureusement, l'attente a parfois du bon. En ce 25 février, New York est bercé par un soleil rayonnant, un ciel bleu presque sans nuages, et une température quasi printanière. Loin de l'ambiance apocalyptique qui ébranla, un certain “9/11,” deux tours jumelles, la patrie de l'Oncle Sam et la carrière de Mariah Carey, qui sortait en cette funeste date Glitter. Une fâcheuse coincidence qui contribua à son unique échec commercial en 18 ans de carrière. Un cataclysme qui poussera son ancienne maison de disques à la remercier et à l'entrainer indirectement dans le giron d'Universal. On connaît la suite: après l'honnête Charmbracelet, Antonio L.A. Reid et Jermaine Dupri encadrent la chanteuse et contribuent au succès de The Emancipation Of Mimi, meilleure vente d'album en 2005. Trois ans et dix millions de disques écoulés dans le monde plus tard, une poignée de journalistes européens se retrouve dans un immense loft aménagé en studio photo. Après une écoute studieuse et matinale d'E=MC², huitième opus de MC dans la continuité de son prédécesseur, un après-midi “off” dans les rues de la “Grosse Pomme” et une interminable attente nocturne dans le même loft, l'heure est venue de retrouver l'explosive métisse. 1h30 du matin pour être précis, quatre heures de retard sur le planning initial. Une paille. Et des bougies, une dizaine, qui offrent un semblant de lumière dans une immense pièce quasiment plongée dans l'obscurité, donnant sur les buildings illuminés de Manhattan et les rives de l'Hudson. Le cadre est enchanteur. La veille, l'Amérique du cinéma consacrait la “Môme” Marion Cotillard et La Vie En Rose (titre du film outre-Atlantique). Dans le même temps, Mariah posait sa voix sur “I Wish You Well,” seul titre manquant lors de l'écoute, produit par James Poyser. “C'est un intense piano-voix, très important à mes yeux, dans la même veine que ‘Vanishing,’ sur mon premier album, avec des paroles plus profondes, spirituelles. J'ai écrit ce titre mais il n'est pas encore fini. J'étais encore en studio jusqu'au petit matin, je me suis couchée à 9 heures. C'est pour ça qu'on a commencé si tard aujourd'hui.” Délestée de quelques kilos superflus, la Carey affiche la mine des grands jours, une allure de jeune première me replongeant 15 ans plus tôt dans mes souvenirs de lycéen adolescent, période Music Box. Petit haut noir, jean et bottes en cuir, la diva, décontractée, m'invite à m'asseoir à ses côtés et me tend un verre de blanc, faisant mine d'être légèrement enivrée. “Je ne sais pas trop quel est ce vin. A vrai dire il n'est pas très bon, mais trinquons à notre rencontre!” Rodée à l'exercice promotionnel, la demoiselle sait recevoir. Elle célèbrera un mois plus tard ses 38 ans, “même si dans ma tête, j'en ai 12, et que j'irai fêter ça à Disney World avec mes copines. Les gens deviennent si sérieux avec l'âge…” Mariah fait le show, entre confidences, spiritualité et humour, comme lorsqu'elle imite une présentatrice de télé-achat un peu gourde pour me présenter brièvement sa nouvelle ligne de parfum, ou qu'elle s'attarde longuement, entre deux questions, sur la “splendeur” de sa broche en forme de papillon, incrustée de pierres roses. Emancipation, acte 2, première…

On discutait il y a quelques semaines du poids des ans avec Mary J. Blige. Grandir, vieillir… Est-ce un réel souci pour toi?
Vieillir et grandir, c'est totalement différent. Vieillir, ça peut être… embêtant. A vrai dire, mon apparence physique, mon poids, n'ont jamais été une source d'ennuis, mais nos métiers médiatiques font que je me suis astreinte, comme tant d'autres femmes du show business, à un régime rigoureux. Je n'ai eu que des compliments ces dernières semaines à ce propos. Grandir, dans le sens d'évoluer, c'est encore autre chose, c'est intimement lié aux émotions. Je ne suis pas nostalgique de mon passé, puisque j'apprécie ma vie au quotidien. Et puis j'étais tellement sérieuse à mes débuts, soumise à tout type de pressions de l'industrie, je n'étais pas moi-même… Cela a peut-être pu me parcourir l'esprit quand la vie n'était pas aussi rose pour moi. le suis heureuse d'avoir commencé aussi tôt, j'ai vécu de grands moments depuis mes débuts, mais j'ai tellement souffert que je suis aujourd'hui satisfaite de pouvoir décider de ma vie. J'étais enfermée dans une prison dorée pendant la plus belle période de ma vie. Aujourd'hui, c'est comme si j'avais débuté une nouvelle carrière. Sauf que Dieu m'a donné ce don, ma voix, depuis le début. C'est à lui que je dois mon parcours, ma réussite, ma longévité. A lui seul.

Est-ce qu'une artiste comme toi, qui a tout connu et qui est à la tête d'une fortune colossale, peut remettre en cause la suite de sa carrière artistique avec la crise que traverse actuellement l'industrie du disque?
L'industrie était déjà en crise quand j'ai sorti The Emancipation! Si je ne me vois pas faire des disques dans un avenir plus ou moins proche, qui peut le faire?!!! Et si aucun de nous n'a de succès à cause des téléchargements ou d'autre chose, le business est mort. J'ai déjà fait ce que j'avais à faire. Hallelujah! Je suis bénie, reconnaissante. Je suis assez fortunée pour faire désormais ce que j'ai envie de faire. j'ai des chansons qui m'appartiennent, que j'ai écrites, qui seront là jusqu'à la fin de mes jours, qui seront à moi pour toujours.

Ton album s'intitule E=MC². On connaît la signification de l'équation d'Albert Einstein. Quelle est la tienne?
Tu n'as pas compris? Tu ne vas me faire croire que je suis aussi complexe qu'Albert Einstein? C'est pourtant plus facile, plus évident! (rires) Le E correspond à l'émancipation, le moment le plus important de ma carrière, ce qui induit qu'il se place dans la continuité du précédent. La deuxième partie de l'équation est simple: C'est Mariah Carey au carré! Moi, mais en deux fois plus grande, plus puissante. Je n'ai jamais entamé l'élaboration d'un nouvel album aussi bien dans ma peau, dans ma tête. Je suis enfin libre; libre d'être moi-même. Je reste sur un très bon album, qui s'est plutôt bien vendu dans le monde, ce qui m'enlève d'une certaine manière toute pression, je suis heureuse dans ma vie privée, pas de soucis majeur. Je n'avais jamais connu ça auparavant.

Le plus dur n'était-il pas de retrouver la motivation après le succès monstre de The Emancipation…?
Non, cela m'a motivée au contraire! Je pense plutôt bien connaître ce business, j'ai ce boulot depuis pas mal de temps maintenant. Mais je continue à apprendre de la vie en tant qu'être humain. J'expérimente des choses, et les retranscrire en chansons a un réel impact sur les gens. Aider les gens, à travers mes chansons, à surmonter une relation conflictuelle, voire violente, la mort d'un être cher comme sur “Bye, Bye;” à grandir spirituellement, ça n'a pas de prix. Mais c'est comme si je n'avais aucun contrôle sur ma vie. Tout ce que j'ai, c'est par la grâce de Dieu.

Te sens-tu enfin à l'aise dans cette industrie?
Oui, sinon je ne serais pas à côté de toi! Honnêtement, en ce moment, je suis moi. Il y a tellement de gens qui me disent que je les ai influencés… Qu'ai-je fait pour ça? La seule chose que j'ai eu le courage de faire, c'est de partir dans un registre plus hip-hop. Au début, c'était risqué et beaucoup de gens me sont tombés dessus parce que les gens m'aimaient dans un monde pop et qu'ils n'ont pas compris ce que j'étais en train de faire. Mais les gens ont finalement compris que “We Belong Together” — un des meilleurs titres que j'ai pu écrire — “It's Like That,” “Don't Forget About Us,” “Shake It Off,” sur mon dernier album, sont devenus si populaires qu'ils font partie de mon héritage en tant que chanteuse et artiste. C'est ce que j'aime faire. Les gens sont encore surpris que je fasse “Touch My Body.”

Quand as-tu commencé l'écriture de ce nouvel album?
Avant de partir en tournée. J'ai fait un film, Tennessee, c'était très intense. J'ai commencé à écrire des titres, dont un pour le film, quand je suis partie en tournée. C'était intéressant car j'ai écrit par rapport au rôle que j'interprète, qui est totalement différent de ce que je suis, physiquement, mentalement. Je n'ai pas chômé depuis la sortie de The Emancipation. Mais cela m'a permis de rester dans une dynamique de travail propice à la création. J'ai ensuite travaillé sur mon parfum, et puis sur ce nouvel album, depuis un an. Mais le film est très important à mes yeux. Il est produit par Lee Daniels, celui qui a produit Monster's Ball (A l'Ombre de la Haine, film sorti en 2001 avec Halle Berry et Billy Bob Thornton, ndr), qui a été oscarisé. Il ne m'a pas vu jouer, il a juste cru en moi par rapport à ce que reflétais, en privé comme en public.

Ta carrière d'actrice pourrait être à l'avenir plus importante à tes yeux?
Plus importante que la musique, non! Mais elle prendra je pense plus de place. Cette expérience a influé en partie sur mon album. J'ai envie de m'investir plus dans le ciné. Je pense que chaque chose se produit pour une raison bien précise. Et moi je ne pouvais pas faire pire en commençant par un “flop” monumental! (Glitter, ndr). J'ai pris une violente claque, mais j'ai appris de mes erreurs, même si ça a été dur à gérer. Je ne referai jamais cette erreur de nouveau, je ne referai pas de film si l'histoire se base sur des pièces assemblées, que le film ne repose que sur des personnalités et pas sur un scénario solide. Et il faut que j'aie une confiance absolue dans les gens avec qui je bosse, notamment le producteur et le réalisateur. Mais à l'époque, je n'avais personne de fiable sur qui compter, un manager comme Tommy qui m'aurait dit: ne fais pas ça! Quand on t'interdit de faire des trucs, tu agis comme une gamine et tu veux le faire.

Une gaminerie sans doute due aux privations lors de ta relation avec Tommy, que tu évoques sur “Side Effects…”
Il m'arrive de penser encore à cette période violente de ma vie, d'en faire encore des cauchemars. On a contrôlé ma vie, les gens que je côtoyais, c'est pour cette raison que j'ai encore aujourd'hui du mal à faire confiance aux gens. Il y avait beaucoup de tristesse en moi, je m'étais faite à l'idée de sacrifier mon bonheur et ma joie pour ma carrière. Tant de fois ¡'avais envie de pleurer et tant de fois j'ai retenu mes larmes. Ma douleur n'était pas perceptible de l'extérieur mais elle était bien là, en moi. Ce que je dis sur Side Effects. Et puis j'attendais que quelqu'un vienne me sauver, mais personne d'autre que toi ne peut te sauver. J'avais accepté cette situation, cette image lisse, presque inhumaine, cette vie-là, qui plus est aussi longtemps. J'ai décidé de partir, de redevenir moi-même, de chanter et de m'exprimer comme je le voulais. J'ai beaucoup appris au contact de Tommy, il a cru en mon talent et a contribué à ce que je suis aujourd'hui. Mais il faut savoir gérer ces effets secondaires, et faire en sorte qu'ils n'affectent pas ta vie. Il faut savoir rebondir, avancer, c'est un combat interne, spirituel.

Tu as bossé avec de prestigieux auteurs, mais aussi avec une petite nouvelle, Cri$tyle. Une femme, qui plus est peu connue…
Jermaine Dupri me l'a présentée, il venait de la signer sur So So Def comme auteur. J'hésitais à travailler avec elle car j'avais déjà mon équipe, mes petites habitudes. Le jour où on devait se rencontrer, j'étais censée bosser avec Johnta Austin. J'étais presque réticente mais elle m'a très rapidement montré son efficacité. On a réellement écrit les titres à deux, en collaboration; elle m'apportait toujours une idée quand ie séchais sur les paroles, on se complétait. Elle ne me connaissait pas personnellement mais c'était comme une sœur pour moi. C'est réconfortant de bosser avec quelqu'un qui te comprend, qui te connaît, qui a vécu des expériences similaires. J'adore travailler comme ça, en interaction avec l'auteur. C'était nouveau pour moi. Je la respecte énormément, c'est une gentille fille, talentueuse, et elle est devenue plus qu'une partenaire de travail, c'est une amie. Je suis fière d'elle et de nos chan-sons. On a écrit près d'une dizaine de titres ensemble, il y en a quatre sur le disque (“Touch My Body,” “Cruise Control,” “Heat,” “Lovin' You Long Time,” ndr).

Sur “That Chick,” tu fais référence à Biggie et 2 Pac. Le hip-hop est toujours là…
C'est normal de rendre hommage à ces deux artistes; ils ne sont plus là mais ils font partie de l'histoire; ils ont sorti des albums mythiques. Et tu ne peux pas mentionner l'un sans l'autre. Je suis de New York mais j'adore L.A. également. Je n'ai jamais écrit comme un rappeur, mais dans mon chant, j'ai un flow rappé, comme sur “Touch My Body.” J'ai toujours été influencée par cette musique. Je n'ai pas le flow d'un Twista, mais j'ai ca dans le sang. On ne pourra jamais m'enlever ça.