L'Eternelle Resurrection

Depuis quinze ans, la carrière de la plus grosse vendeuse de disques américaine est une succession de triomphes et de désastres. Elle est venue à Paris en battante encourager la gagnante de la Star Ac.

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Paris Match Magazine by Sebastién Micke
Photos by Sebastién Micke
Paris Match (FR) December 22, 2005. Text by Benjamin Locoge. Photography by Sebastién Micke.

Seule chanteuse à égaler le record d'Elvis et des Beatles avec plus de 150 millions de disques vendus, la créatrice de “Heartbreaker” garde la tête froide. Le 16 décembre, invitée d'honneur à la finale de la Star Ac, elle a interprété son nouveau tube, “We Belong Together,” en duo avec Magalie, la lauréate à qui elle venait de remettre son trophée. Une simplicité chaleureuse, aux antipodes de la réserve hautaine qu'avait manifestée Madonna, quelques semaines plus tôt, en refusant de chanter avec les candidats…

Sans doute Mariah Carey a-t-elle songé, en encourageant la jeune débutante, aux moments difficiles qu'elle-même a vécus après l'échec, en 2001, de son album Glitter et du film éponyme. Ce n'est plus pour elle qu'un mauvais souvenir puisque plus de 6 millions d'exemplaires de The Emancipation of Mimi, le disque qui marque son retour en tête des charts, se sont arrachés en quelques mois.

Serait-ce pour l'amour de Mark Sudack, le producteur qui l'a demandée en mariage, qu'elle a retrouvé son corps de sirène? Plus que star, Mariah se sent femme. La chanteuse aux huit octaves avait à peine 2 ans quand sa mère, cantatrice à l'Opéra de New York, a découvert ses dons en l'entendant reprendre les airs de Rigoletto qu'elle était en train de répéter. Mais c'est à 20 ans que la prodige a fait ses vrais débuts. Entré en 73ᵉ position au hit-parade en juin 1990, son premier album (Mariah Carey) caracolait deux mois plus tard à la première place. Ce succès a duré une décennie, Mariah étant la seule femme classée chaque année en tête des charts, jusqu'en 1999.

Dure a été la chute. Après Glitter, sa cote de popularité était si basse que l'album Charmbracelet n'est sorti qu'un an après avoir été enregistré, en 2002. Une traversée du désert qui paraît incroyable, maintenant qu'elle a renoué avec son succès planétaire.

“Vous êtes prêt? Si vous fumez, vous prendrez un chewing-gum avant de la rencontrer, l'odeur la dérange.” Zoé ne sait plus trop où elle est, ni à qui elle parle. Alors que son mobile sonne, son BlackBerry lui signifie qu'elle vient de recevoir dix-neuf nouveaux mails en moins de trois minutes. L'attachée de presse internationale de Mariah Carey est presque aussi célèbre que la star. Elle ne la quitte pas d'une semelle, pourrait presque répondre pour elle aux interviews, et passe son temps à s'assurer que “tout va bien.” Car, qu'il s'agisse de Paris, de Londres, de New York, de Detroit ou de Mexico, Mariah a besoin de repères: une suite confortablement chauffée, un grand lit douillet, une petite cuisine, pour que Jack, son jack-russell, puisse avoir “son espace à lui,” quelques bougies et une dizaine de bouteilles de champagne. Et lorsque vous pensez être enfin admis dans le saint des saints, les deux managers de la star vous interrogent sur votre taille, votre poids et vos goûts musicaux. Un rite de passage? Non, une plaisanterie qui les fait bien rire avant de vous présenter “la” diva, “mademoiselle Mariah Carey.”

Voluptueusement installée dans un canapé de cuir, la chanteuse, une flûte de champagne à la main, vous accueille comme son meilleur ami. “Comment vas-tu? On s'est déjà rencontré, n'est-ce pas?” Pas vraiment, mais bon. La conversation s'engage sur des thèmes aussi profonds que la température extérieure, les poils du chien (qu'il faut caresser) et le charme de la classe affaires d'Air France… Très poliment, elle propose une coupe à ses hôtes. Une demoiselle surgit alors pour éviter à Mariah d'avoir à servir ses convives. Où qu'elle aille, l'ex-épouse de Tommy Mottola se déplace toujours avec vingt-quatre personnes. Aujourd'hui, la star est détendue, l'interview peut commencer.

“J'ai fumé de 12 à 18 ans. Mais j'ai arrêté, car j'ai toujours voulu chanter. Ma mère était chanteuse d'opéra et elle fumait en permanence! Quand j'étais petite, je détestais l'odeur, je lui demandais d'arrêter, cela me rendait terriblement malade… A 12 ans, j'ai eu envie d'être cool, comme toutes les filles de l'époque, alors je me suis mise à fumer. Mais quand j'ai commencé à écrire des chansons, à prendre ce métier au sérieux, j'ai compris qu'il valait mieux arrêter. Et je n'ai plus jamais touché à une cigarette. Maintenant, cela me rend de nouveau malade. C'est agaçant parce que je ne peux pas fréquenter les soirées enfumées, les bars ou les boîtes de nuit. Mais bon…”

A part ça, comment allez-vous?
“Mon appartement new-yorkais est en travaux depuis six mois, donc je vis encore à Los Angeles. J'en ai un petit peu marre d'être menée en bateau par les ouvriers… A part ce petit souci, tout va plutôt bien.”

Cette année a été formidable…
“Mettons les choses à plat: d'accord, je suis passée par des moments difficiles, mais je n'ai pas le sentiment d'avoir changé. J'ai commencé à chanter très jeune. J'étais une adolescente qui sortait de Long Island et en qui personne ne croyait. J'ai dû me battre pour m'imposer.”

C'est-à-dire?
“Mes souvenirs d'enfance sont rudes. J'ai dû me battre aussi pour exister entre mon père qui était noir et ma mère qui était blanche. Nous vivions dans deux communautés. Ni l'un ni l'autre ne m'ont appris ce que le mot racisme voulait dire. Mais là, j'ai eu de multiples fois l'occasion de le comprendre toute seule.”

Est-ce pour cela que vous êtes partie de chez vous à 16 ans?
“Probablement… Mais même adulte, je n'ai pas rigolé. [Elle marque une pause.] Si je reste honnête, j'ai également dû me battre contre les hommes. Je suis toujours sortie avec des garçons plus âgés que moi, qui me protégeaient, mais qui m'enfermaient dans une bulle dorée. J'ai vu des gens complètement changer face à mon succès. Et cela m'a préparée à des réactions disproportionnées. Personne ne peut continuellement être au top.”

Comment avez-vous surmonté ces dernières années, où vous n'étiez plus vraiment dans le coup?
“J'ai su relativiser. Si j'ai été mal pendant une semaine après l'échec de mes derniers disques, c'est le grand maximum. Je repartais très vite sur un autre projet. Il existe des gens, dans ce monde, qui ont beaucoup plus de raisons de souffrir que moi.”

Qu'est-ce qui vous a fait le plus souffrir?
“Ce n'est jamais très agréable d'être suivie par des photographes le matin au réveil quand vous sortez votre chien. Mais c'est la loi du genre. Quand aujourd'hui je vends 7 millions de disques en six mois, je préfère rire de ces mauvais souvenirs.”

Avez-vous douté?
“Non. Je suis bien entourée, je sais enfin à qui faire confiance, tant musicalement que personnellement, je sais où je mets les pieds, et cela me correspond parfaitement.”

Votre descente aux enfers a commencé avec le film et le disque Glitter, qui vous ont ringardisée.
“Ringardisé n'est pas le mot. Je n'aurais pas dû faire ce film, d'accord. Mais ce n'est pas pour autant le plus mauvais film de tous les temps! L'expérience a été difficile. Personne ne me prenait au sérieux à ce moment-là, parce que moi je ne savais plus où j'en étais…”

Glitter avait été présenté comme l'album de votre grand retour…
[Elle interrompt.] “Je pensais enfin sortir de tous mes problèmes avec Tommy Mottola. Mais l'album est paru le 11 septembre 2001… Il n'était pas la priorité des gens à cette époque…”

Quelle leçon avez-vous tirée de cet échec?
“Que j'étais grillée en tant qu'actrice! [Rires.] Je voulais vraiment faire du cinéma, j'adore ça. Mais le projet que j'ai tourné ensuite est passé complètement inaperçu. Je ne suis pas du genre à laisser tomber quand ça ne marche pas. Dès que je sentirai un nouveau scénario, je foncerai. J'espère juste que l'on saura de nouveau faire confiance à mes talents de comédienne…”

Avez-vous pensé à tout arrêter?
“Disons que, à ce moment-là de ma vie, dès que l'on m'affirmait que je n'étais pas capable de réussir tel ou tel projet, je me lançais dedans pour prouver que, justement, j'en étais capable. L'histoire m'a prouvé qu'il faut savoir prendre du recul, être sereine, et ne pas s'investir dans n'importe quoi. Je ne peux pas tout réussir.”

Etes-vous rassurée par le succès de votre nouvel album?
“Je pensais avoir atteint des sommets que je n'atteindrais plus jamais. The Emancipation of Mimi a été le disque le plus passé sur les radios américaines en 2005, et il dépasse tous mes précédents records de diffusion… Nous ne sommes jamais à l'abri d'une bonne surprise!”

Que vous manque-t-il désormais?
“Lui!” [Rires.]

Qu'attendez-vous?
“Ces dernières années, j'ai vécu des relations assez compliquées avec les hommes, comme vous le savez certainement. J'ai été assez échaudée… Hormis Doug Morris, le directeur mondial d'Universal, en qui j'ai vraiment confiance, je passe ma vie à croiser des gens qui me disent combien je suis formidable, belle et exceptionnelle. C'est une notion toute relative de la critique positive… Tout le monde n'est pas pourri pour autant. Mais j'ai besoin de quelqu'un d'assez fort en face de moi pour me dire: ‘Mariah, tu te trompes’.”

Durant votre mariage avec Tommy Mottola, pouviez-vous avoir ce genre de discussions?
“Tommy a fait de moi ce qu'il voulait parce que j'étais jeune. Il contrôlait le moindre détail de ma vie, il ne me laissait aucune liberté. Il était mon manager, mon mari et mon patron. Avec lui, j'ai plus appris sur les hommes que sur le milieu de la musique…”

A quoi pensez-vous?
“J'ai tellement d'exemples! Tout le monde le craignait. Un soir, je décide d'emmener une amie au Burger King à côté de chez nous, pour faire comme au bon vieux temps. En rentrant, il me bombarde de questions: ‘Où étais-tu? avec qui? pourquoi? Tu aurais mieux fait de rester travailler!’ Ce n'était pas une relation saine. Il passait sa vie à me mettre la pression. Je n'ai jamais eu d'aventures extra-conjugales, je ne suis pas du genre à faire l'amour avec un homme en vitesse pour tromper mon mari! Tommy, lui, me soupçonnait en permanence. Alors il m'enfermait.”

Regrettez-vous de l'avoir épousé?
“Je ne sais pas. Il m'a poussée à l'épouser. Il savait gérer, s'occuper des autres, mais il est allé trop loin. Il voulait prendre mon âme! Je suis tombée amoureuse de la figure paternelle qu'il représentait à mes yeux. A la fois je n'existais pas, mais il a tout fait pour ma carrière. Ensemble, nous avons beaucoup travaillé. Nous avons enchaîné les disques et les succès. Mais j'étais jeune, trop jeune probablement… J'ai eu du mal à me considérer comme une femme mariée… Quand je regarde des photos de cette époque, j'ai l'impression d'avoir affaire à une autre personne. A 22 ans, je me suis trouvée très encadrée, et très populaire en même temps. J'ai eu du mal à le vivre.”

Si vous aviez eu un enfant avec Tommy, vous auriez peut-être vécu cette période autrement.
“Il n'était pas question d'avoir un enfant avec Tommy, j'étais trop concentrée sur ma carrière, c'était la seule chose qui comptait. Aujourd'hui, je me sens coupable d'avoir péché par excès de naïveté. Je regrette d'avoir divorcé, comme mes parents finalement…”

Vous disiez tout à l'heure que votre enfance n'avait pas été très heureuse.
“Mes parents ont divorcé quand j'avais 3 ans. J'ai toujours vécu entre leurs deux maisons. Je n'avais pas une image positive du mariage. Je me souviens très bien, petite, avoir dit à ma mère: ‘Je ne me marierai jamais!’ Elle avait très bien compris pourquoi j'affirmais cela.”

Comment était votre mère?
“Elle était d'origine irlandaise, elle avait l'esprit libre, un peu bohème. Elle n'a pas hésité, dans les années 60, à épouser un homme noir… Elle l'aimait, alors elle était prête à tout. Sa famille ne lui a pas parlé pendant des années, mais elle s'en moquait. Il y avait tout le temps des musiciens à la maison, qui jouaient, qui composaient… J'ai grandi librement…”

Vous passiez les week-ends chez votre père.
“C'est étrange, j'étais plus à l'aise dans les quartiers noirs que dans les quartiers blancs. Or, quand je venais avec des amies chez lui, je ne précisais pas qu'il était noir. Pour moi, ce n'était pas un problème. Mais quand il ouvrait la porte, mes copines avaient toujours un air de dégoût, quand elles ne pleuraient pas. Une enfant n'oublie pas ce genre de réactions. L'Amérique des années 80, surtout à Long Island, n'aimait pas la différence.”

Comment vous êtes-vous soignée?
“Par l'écriture de chansons! C'est une thérapie. On ne me prend pas toujours au sérieux, mais cela m'a permis d'évacuer tous mes problèmes. Ce fut ma manière de me prendre en main pour échapper à tout cela. On dit souvent de moi que j'ai un fort caractère, que je ne craque jamais… Lorsque l'on a connu la souffrance liée au racisme dans son enfance, on s'endurcit forcément.”

Est-ce pour cela que vous êtes seule aujourd'hui?
“Je ne suis pas seule! Il y a Dieu! La religion me permet d'avoir quelque chose en quoi je peux croire.”

Vous ne croyez plus dans les hommes?
“Ce n'est pas le même genre d'amour…”

Les enfants, ce n'est donc pas pour tout de suite?
“Je ne sais pas si je serais capable d'élever un enfant en étant célèbre. Il n'aurait pas de choix, il serait forcément sous les flashs… Je n'ai pas envie de lui offrir ce genre de vie. Je suis assez vieille fille parfois, mais j'aimerais avoir un mari, qui ferait un bon père, et une grande maison avant d'avoir un enfant. Pour l'instant je n'ai que le chien!”