Sortie D'Enfer

A 32 ans, elle revient de loin. En deux ans, la chanteuse R'n'B aux 150 millions d'albums vendus est passée du statut de diva flirtant avec les records de vente des Beatles ou de Michael Jackson à celui de star suicidaire. Pour Paris Match, elle lève le voile avec une formidable sincérité sur les raisons de ses échecs.

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Paris Match (FR) November 28, 2002. Text by Regis Le Sommier.

Même si elle doit en partie son succès à son ex-mari Tommy Mottola, le président de Sony Music U.s.a., sa chute reste à ce jour la dégringolade la plus spectaculaire et la plus rapide qu'ait connue une vedette de la chanson. Depuis l'époque du contrat record de 100 millions de dollars qui la liait avec la maison de disques Virgin, Mariah Carey a enchaîné dépressions, séjours en hôpital psychiatrique et flops retentissants tant sur les ondes qu'à l'écran. Aujourd'hui elle assume sa fragilité et ses illusions perdues.

Après dix ans d'une carrière exceptionnelle, vous venez de traverser deux années désastreuses. Avec le recul, quelles ont été vos pires erreurs?
Cette période atroce que je viens de passer ne peut se comprendre sans prendre en compte ma vie entière. Je suis née d'un mariage multiracial. Ma mère avait été bannie par sa famille uniquement pour avoir épousé un Noir. Mes parents ont divorcé quand j'avais 3 ans. J'ai grandi avec une mère célibataire. Dès cet instant, j'ai ressenti d'énormes problèmes à assumer mon identité mixte. En Amérique, les gens vous perçoivent comme appartenant à une communauté. Or j'étais trop blanche pour être considérée par les Noirs et trop noire pour les Blancs. J'ai donc sublimé ce complexe en devenant celle qui s'occupe des autres. J'avais beau n'être que la benjamine de la famille, j'étais comme une mère pour les autres. Il fallait que je travaille trois fois plus pour me faire reconnaître. J'ai donc travaillé, toute ma vie, jusqu'à la rupture.

Vous mettez tous vos ennuis sur le compte du stress de votre carrière et du racisme?
Oui, absolument! Ma carrière n'est que le prolongement d'un enfer que je me suis construit dans le travail, à cause de l'absence d'attaches et de la difficulté à vivre mon identité métisse. Dans mon enfance, j'étais presque quotidiennement confrontée au racisme. La voiture de mes parents a été détruite, leur chien empoisonné. Mais tout cela n'est rien comparé à ce que je vivais à l'école tous les jours. Une fois, j'ai emmené une copine de classe voir mon père. Elle était blanche, comme presque toutes mes autres camarades, et n'avait jamais vu un Noir. Elle s'est mise à pleurer, et ma mère a dû la ramener chez elle. J'étais encore en maternelle quand la maîtresse a demandé à chaque élève de dessiner sa famille. J'ai pris un crayon noir pour dessiner mon père et les assistants m'ont expliqué: “Non, tu te trompes. Tu ne peux pas dessiner ton père avec un crayon noir.” Puis ils m'ont dévisagée et ont alors compris que je n'étais pas totalement blanche. Ils n'ont rien dit et sont partis. J'avais 5 ans. Je n'ai jamais oublié. Toute ma vie, j'ai pensé qu'il devait y avoir un problème avec moi. Et pour qu'il n'y en ait pas, tout devait être parfait. Je devais être la plus agréable, la plus disponible et surtout celle qui travaille le plus.

Le début de votre descente aux enfers remonte à la fin du contrat avec Sony. Que s'est-il passé?
J'ai cru avoir recouvré ma liberté. C'était faux. En quittant Sony, j'abandonnais le label qui m'avait vue grandir, celui dont Tommy Mottola, mon ex-mari, était le président. Je quittais des liens forts, affectifs, et tant de souvenirs pendant toutes ces années. En quatre semaines, J'ai dû tout recréer avec Virgin. D'instinct, je me suis mise à tout organiser, écrire mes chansons, partir en tournée, promouvoir mes disques. Je devais prouver que j'étais capable de rebondir. On m'attendait au tournant. Or vous pouvez pousser vos limites assez loin à condition d'avoir certains points de repère. En quittant Sony, je les ai perdus. A cette époque, je ne mangeais pratiquement plus et j'étais devenue insomniaque. Au tour de moi, personne ne me demandait si j'allais bien, si j'étais en forme. Une machine à vendre des disques, une créature conçue pour la scène, voilà ce que j'étais devenue. Et en plus de tout ça, je devais être aimable et sourire à tout le monde. Au fond de moi, je sentais la dépression gagner chaque jour. Il m'arrivait d'en parler, mais nul ne semblait s'inquiéter de ce qui allait se passer.

Avez-vous tenté de faire face d'une manière ou d'une autre?
Un jour, j'ai tout plaqué et je me suis réfugiée chez ma mère. Elle habite la maison que je lui ai achetée avec mon premier cachet. Je me suis dit qu'au moins là-bas ils me laisseraient en paix pour quelque temps. Je me sentais tellement mal. En arrivant, j'ai fait quelques pas, mais j'étais si faible que je suis tombée sur le carrelage de la cuisine. C'est elle qui a appelé l'ambulance. J'ai dû subir un traitement assez lourd. Certains en ont profité pour dire que je me droguais et que j'avais fait une tentative de suicide. Or tout cela est tellement éloigné de ma nature… Si vous saviez à quel point mes croyances rendent l'idée même du suicide complètement absurde!

Sans aller jusqu'à envisager le suicide, aviez-vous le sentiment d'être dans une impasse totale?
J'avais dépassé mes limites depuis long-temps, mais je ne m'en rendais pas complètement compte. J'étais au fond du gouffre, mais quelque chose me poussait à continuer. Après tout ce qui s'est passé, je ne regrette pas d'être allée chez ma mère, ni tout ce qui a suivi. Parce que le monde entier a dû réaliser ma faiblesse. Tous les gens qui m'ont rencontrée et ceux avec qui je travaille ont compris qu'il fallait me voir comme un être humain avec toute sa fragilité, ses doutes et son imperfection. Je regrette juste que certains aient tiré parti de ce moment de faiblesse pour me traiter de “junkie.”

Votre sœur est séropositive. Elle est passée par la toxicomanie et la prostitution. Est-ce sa déchéance qui vous a tenue à l'écart de la drogue?
Ma sœur avait seulement 15 ans quand elle a eu son premier enfant, Sean. Elle a dû se débrouiller seule pour le nourrir. Elle prenait des drogues dures. J'ai connu autour de moi ce fléau de la drogue quand j'étais très jeune. Alison a fait plusieurs cures de désintoxication. En un sens, grâce à elle, je ne me suis jamais droguée. Quand on m'a conduite à l'hôpital, on a prétendu que je suivais moi aussi une cure de désintoxication. Une star, c'est forcément drogué, donc ça suit forcément une cure. Et une star dépressive, forcément ça se taille les veines! Regardez mes poignets, vous voyez des traces? [Elle montre ses bras, vierges de toute marque.]

Qu'avez-vous changé dans votre vie par rapport à cette époque?
D'abord, je me nourris correctement avec l'aide constante d'un nutritionniste. J'ai également résolu mes problèmes de sommeil. Dans mon nouveau contrat, il est écrit noir sur blanc que je dois me reposer régulièrement et prendre des vacances. Des choses banales pour la plupart des gens, mais qui, pour moi, étaient devenues exceptionnelles. J'ai eu recours à un psychothérapeute. Je l'avais deja fait par le passé, mais nos discussions se bornaient à résoudre des problèmes de relations sentimentales. En fait, j'ai appris à m'occuper de moi.

Après l'échec de votre film autobiographique, Glitter, êtes-vous encore tentée par le cinéma?
On parle toujours de Glitter, mais on oublie Wisegirls, un film indépendant de David Anspaugh avec Mira Sorvino. On m'avait dissuadée de jouer ce rôle de serveuse mafieuse. Le film a été présenté au festival de Sundance l'été dernier avec, à la clef, de très bonnes critiques. L'erreur que j'ai commise avec Glitter fut de me laisser dépasser par l'énorme machine hollywoodienne.

Il était pourtant tiré de votre propre expérience?
Au départ, oui, et certaines parties restent intéressantes. Mais j'ai totalement perdu le contrôle de l'intrigue. A la fin, cela ne ressemblait plus du tout à ce que j'avais imaginé. En plus, Glitter est sorti une semaine après le 11 septembre… Je voulais faire du cinéma indépendant. Avec Wisegirls, j'ai enfin eu ce que je désirais.

On dit que, sur le tournage, vous vous êtes battue avec Mira Sorvino, est-ce vrai?
C'est faux. Franchement, si cela était arrivé, ne pensez-vous pas que quelqu'un aurait pris une photo? Nous étions sur un plateau de tournage, entourées de caméras et d'appareils photo… La vérité, c'est que nous avons toutes les deux des caractères très marqués. Nous étions en train de tourner une scène assez complexe au cours de laquelle un homme avait reçu une balle dans le nez. Il y avait du sang partout. Et je voulais que Mira me guide pour cette scène. Et elle ne le faisait pas assez. Nous avons eu quelques échanges un peu vifs qui ont été interprétés plus tard comme une bagarre. Qu'im-porte, la scène restera mémorable.

Qu'avez-vous appris le plus à travers ces épreuves?
J'ai appris la valeur de la vie. L'an dernier, pour Thanksgiving, je suis allée me recueillir à Ground Zero. Je suis new-yorkaise et, depuis mon appartement, je voyais les Twin Towers. Aujourd'hui, je vois la vie autrement. Mon père est mort l'année dernière. Avant sa disparition, nous nous sommes réconciliés, nous avons parlé longuement. Il y a eu trop de malentendus dans notre vie. J'avais oublié de lui dire que je l'aimais.

On vous prête de multiples relations amoureuses. Leonardo DiCaprio, Puff Daddy ou encore Eminem comptent, paraît-il, parmi vos conquêtes. Où est la vérité?
Le dernier en date s'appelle Justin Timberlake! Mais ça change toutes les semaines! C'est absurde. Je peux compter sur les doigts d'une main les hommes que j'ai eus dans ma vie. Le fait est que j'adore la fête, et j'ai beaucoup d'amis masculins.

Et Eminem?
Il a été un ami, mais il ne fait pas partie des cinq, vous pouvez me croire. [Rires.]

Et l'amour, vous y croyez toujours?
Je crois que j'ai été abusée par l'idée romantique de l'amour. Je peux écrire beaucoup de chansons sur l'amour, même si je n'en ai jamais connu de véritable.