Une Voix En Oir

Enfance pauvre, père absent, mariage malheureux, c'est la rage de chanter et de réussir qui a fait de Mariah Carey une immense star. Rencontre avec une femme qui sait ce qu'elle veut et ce qu'elle vaut.

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Elle Magazine by Gilles Bensimon
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Elle (FR) August 6, 2001. Text by Dany Jucaud. Photography by Gilles Bensimon

Un nouvel album, un film en janvier… Mais vous ne vous arrêtez jamais!
J'ai besoin de travailler beaucoup. Mais là, c'est un peu le conte de fées. Virgin m'a offert un contrat de 23 millions de dollars sans même écouter une note de musique! Ça me sécurise, évidemment, mais au fond de moi, j'ai toujours peur qu'on me fasse un croche-pied. J'en ai bavé pour en arriver là: j'ai dormi pendant des années sur un matelas par terre. Certains jours, j'avais à peine un dollar en poche. Si je ratais le dernier métro, je marchais des heures pour rentrer… je n'avais même pas de quoi prendre un taxi. Je viens d'acheter un appartement à New York. Quand je me réveille le matin, je me dis: “Tout ça est à moi. Personne ne va me le prendre.” Je n'en reviens pas!

Qu'avez-vous fait de votre premier gros cachet?
J'ai acheté une maison à ma mère. Mais ne croyez pas que je sois multimilliardaire. Je ne suis pas aussi riche que je devrais l'être. (Elle a vendu 140 millions d'albums, un record absolu. Ndlr)

Pourquoi?
Jusqu'à mon dernier album Rainbow, j'étais liée par un contrat ridicule à mon agent. J'étais tenue de lui verser la moitié de tout ce que je touchais! On a prétendu que j'avais épousé Tommy Mottola pour son argent. (Tommy Mottola est le président de Sony. Ils ont été mariés entre 1993 et 1997. Ndlr) C'est faux! J'ai payé la moitié de notre manoir et nous nous partagions toutes les charges. Le domaine a entièrement flambé trois jours avant le nouveau millénaire. C'est symbolique. Je ne me suis jamais sentie chez moi dans cette maison, je m'y sentais prisonnière. Mon seul droit était de chanter. Je n'y vivais pas, je survivais. Finalement, j'ai compris que, si je ne partais pas, j'allais crever.

Mais, sans Tommy, seriez-vous devenue ce que vous êtes?
Il a su voir mon potentiel. Mais, même sans lui, je n'aurais pas baissé les bras et je serais devenue une star.

Vous n'avez jamais douté de vous?
Non. Grâce à ma mère. Elle était irlandaise et chanteuse d'opéra. Mon père était un métis d'origine vénézuélienne. Quand elle l'a épousé, elle a dû faire face au racisme. Ça a mis un frein à sa carrière. Elle m'a élevée dans la pauvreté, mais elle croyait en moi. Elle me disait toujours: “Ne dis pas: ‘Si j'y arrive,’ mais: ‘Quand j'y arriverai’.” Du coup, je n'ai jamais douté de mon talent. Grâce à la musique, j'étais différente. Rien d'autre n'avait prise sur moi.

Vous sentiez-vous noire ou blanche?
Ni l'un ni l'autre. Disons que je ne savais pas qui j'étais. Comme je n'ai pas de traits négroïdes, il arrivait que les gens disent devant moi des choses qu'ils auraient tues s'ils avaient su que j'ai du sang noir. Je ne m'identifiais à personne, sinon à Marilyn. Comme moi, elle avait eu une enfance difficile. J'ai acheté son piano blanc aux enchères pour 4 millions de francs. On m'a prise pour une dingue!

Et votre père, aimait-il vous entendre chanter?
Oh, non! Quand j'étais petite, je chantais tout le temps; ça rendait les gens fous. Alors, mon père m'interdisait de le faire à table. Il ne connaît aucun de mes disques. Il est ingénieur aéronautique, son univers n'est pas le mien. Mes parents se sont séparés quand j'avais 3 ans. Toute ma vie, j'ai eu un immense vide à combler. Je n'ai eu de cesse de me faire aimer. J'ai fait des progrès. J'ai appris à dire non. Mais je me sens encore étrangère partout. Heureusement, mes fans ont donné un sens à mon existence.

Votre sœur se droguait et se prostituait, cela n'a pas dû être facile…
Bien sûr, c'était dur, mais ça m'a donné une grande force intérieure. J'ai pris le parti opposé, je ne me suis jamais droguée et je ne couche pas avec tout le monde.

Vous jouez dans Glitter (sortie en janvier 2002). Pourquoi avez-vous tant attendu pour faire du cinéma?
J'ai toujours eu envie de tourner, mais on prétendait que ce n'était pas bon pour ma carrière. De temps en temps, j'apprenais par les journaux que j'avais refusé un rôle. En fait, je n'étais même pas au courant. Glitter est mon premier film, mais ce ne sera pas mon dernier!

Glitter est l'histoire d'une jeune chanteuse. On ne peut pas s'empêcher de penser que c'est un peu vous…
Contrairement à l'héroïne, je n'ai pas eu beaucoup d'amants. Même si on m'en a prêté plein, de Puff Daddy à Leonardo DiCaprio. Ça me fait plutôt rire. Vous savez, je suis très sentimentale. Je ne supporte pas de m'attacher à un homme et que cela puisse finir.

Faut-il croire aux rumeurs concernant votre mariage avec le chanteur Luis Miguel?
Non, absolument pas. Luis et moi, nous nous sommes rencontrés à Aspen en 1999, pendant les vacances de Noël. C'est un être unique, follement généreux. En plus, on fait le même métier, ça simplifie beaucoup de choses. Nous sommes deux oiseaux de nuit. Mais je ne me remarierai que le jour où j'aurai envie d'avoir un bébé et de lui consacrer tout mon temps. Pour l'instant, je ne suis pas prête. Et puis, malgré ma phobie du mariage, je me suis tout de même mariée une fois. Et l'essai n'a pas été très concluant.

Diriez-vous que vous êtes sereine?
Pas vraiment! Tout m'angoisse. Je suis incapable de me relaxer. J'essaye de voler de petits moments de bonheur par-ci par-là. Mais je reste sur le qui-vive. C'est pour ça que je suis insomniaque: dès que je dors, j'ai l'impression de passer à côté de quelque chose.

Mais vous sentez-vous heureuse?
En tout cas, je me sens capable de ne plus répéter mes erreurs. J'ai été manipulée trop longtemps, car je ne savais pas me défendre. Aujourd'hui, je ne veux plus que quiconque me contrôle. Je veux être une femme libre. Et je sais que je vais y arriver!