A 29 ans, Mariah Carey vit comme une star hollywoodienne. Elle ne collectionne pourtant pas les Oscars mais les disques d'or et de platine: 81 pour 115 millions de disques vendus dans le monde, un record absolu. “Heartbreaker,” le premier single de son nouvel album, Rainbow, sorti le 28 octobre, est déjà son 14ᵉ numéro 1 au hit-parade du magazine américain Billboard, la bible du showbiz. Une prouesse seulement battue, jadis, par les Beatles et Elvis Presley. Mariah Carey est l'unique interprète-compositeur qui, depuis 1990, a, chaque année, un single classé numéro 1. Même son divorce, en mars 1998, d'avec Tommy Mottola, le patron de Sony et l'homme qui l'a façonnée, n'a en rien nui à sa carrière. Idole des teen-agers, “La” Carey, dont la mère est irlandaise et le père noir américain, ignore les barrières raciales. La diva à la voix d'or chante l'amour, et chacun s'y reconnaît.
Depuis votre divorce d'avec Tommy Mottola, le patron de Sony qui a lancé votre carrière, on a le sentiment que vous êtes complètement libérée. Vous, si réservée, fréquentez désormais les boîtes de nuit, portez des tenues toujours plus sexy. Une nouvelle Mariah Carey?
J'avais été lancée comme une jeune fille “modelle” et après, lorsque j'ai un peu voulu en sortir, on m'a fait comprendre que ce n'était pas très judicieux pour ma carrière. Alors, j'y suis allée progressivement. Aujourd'hui, je me sens très bien, en accord avec moi-même. Il est évident pour tout le monde que je suis une fille différente maintenant. Je ne suis plus la petite Mariah qui chante des chansons sirupeuses bien gentilles. J'ai un côté plus hip-hop. On peut donc voir qui je suis vraiment et d'où venait mon personnage avant…
Vous aviez dit ne plus croire au mariage, depuis le divorce de vos parents. Pourquoi avoir épousé Tommy Mottola?
Je pensais que ça rendrait ma vie plus simple si nous étions mariés. Je n'ai jamais été voir ailleurs et je ne comprenais pas pourquoi il ne me faisait pas confiance. J'ai essayé de lui expliquer mais il n'a pas compris.
Quand avez-vous réalisé que ce mariage était une erreur?
J'éprouvais un sentiment de sécurité que je n'avais jamais connu auparavant. Il m'était très attaché mais c'était aussi mon pire ennemi. J'ai de bons souvenirs de nos vacances car il n'y avait jamais de drames, contrairement à d'habitude. Parfois, je regarde des photos et ça me fait de la peine. Nous venions d'univers différents. Les personnes de mon entourage qui travaillaient pour lui avaient peur de lui. Au plus profond de moi, je pense qu'il a beaucoup de qualités. Je vais mettre du temps avant d'oublier. J'ai grandi avec une indépendance d'esprit totale et avec Tommy Mottola, c'était tout le contraire. J'ai fait des efforts surhumains. Parce que j'avais peur de l'échec, j'ai tout fait pour que ça marche. Jamais je n'aurais cru que ça serait moi qui partirais. J'avais peur.
Vous sachant célibataire, on vous a fiancée avec la moitié du show-business. Kevin Costner, Leonardo DiCaprio, Puff Daddy…
Pfff… si ça les amuse! Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise. Je suis plutôt expansive de nature et j'aime bien rencontrer du monde. De là, on tire des conclusions qui franchement me font sourire. Je ne suis pas le genre de fille à passer d'un homme à un autre. Je n'en ai connu que trois dans ma vie: Tommy Mottola, Derek Jeter [un joueur de base-ball] et Luis Miguel [elle baisse les veux comme une petite fille].
Longtemps vous avez essayé de dissimuler votre idylle avec Luis Miguel, pourquoi?
Lorsqu'une histoire commence, vous n'avez pas spécialement envie de la placer sous l'œil des caméras. Nous nous sommes rencontrés à Aspen, à Noël. Je suis très heureuse avec lui, sans doute parce qu'il fait le même métier que moi. Chacun comprend les problèmes de l'autre. Et il aime bien vivre la nuit, comme moi.
On dit que grâce à vous, chaque année, Sony gagne 200 millions de dollars. Combien dans votre poche?
Je ne connais pas les chiffres mais si ce que vous me dites est vrai, je me fais voler comme au coin d'un bois.
Que faites-vous de votre argent?
Je n'ai pas de maison, celle que j'habitais avec mon ancien mari, j'ai dû en payer la moitié. Je ne collectionne pas de tableaux. Je viens seulement d'acheter un appartement dans TriBeCa et il n'est même pas terminé.
Mais vous ne faites jamais de folies. Vous n'avez pas d'avion par exemple?
Un avion? Vous m'imaginez plus riche que je ne le suis. Lorsque j'ai commencé, j'étais liée par contrat avec un producteur à qui je devais donner 50% de mes gains sur mon premier album, 40% pour le deuxième, 30% pour le troisième. Donner la moitié de mes royalties à quelqu'un qui ne le méritait pas vraiment me rendait folle. J'étais jeune et je ne pouvais pas rompre ce contrat. Je n'avais pas d'avocat et encore moins les moyens de m'en payer un. J'habitais un appartement minuscule. Même aujourd'hui, je ne suis pas milliardaire. Je m'occupe d'une association pour l'enfance malheureuse. Et aussi de ma famille, de mon entourage. Plus vous devenez célèbre, plus vous avez besoin de monde autour de vous.
Vous détenez le record de ventes de disques des années 90. Etes-vous jalousée par Madonna ou Céline Dion?
Il arrive qu'on ne soit pas très sympa avec moi, qu'on me snobe, mais que voulez-vous faire?
Aujourd'hui, vous ne pouvez plus sortir sans provoquer une émeute. Est-ce agréable de vivre derrière des vitres teintées, protégée par des gardes du corps.
Lorsque je fais du shopping, je mets un chapeau, des baskets, des pantalons informes et ça se passe très bien. Parfois, les gens me reconnaissent mais c'est très rare. Je ne suis pas certaine que cela soit un problème. Ceux qui se plaignent d'être harcelés, en ne sortant qu'avec des lunettes noires, le cherchent. Je ne me sens pas isolée, mes proches me permettent de garder les pieds sur terre.
Vous avez, un jour, songé à entreprendre une thérapie. L'avez-vous faite finalement?
Ma thérapie, ce sont des leçons de comédie. Avant ma première relation, j'avais besoin de parler de mon enfance que je n'avais jamais évoquée. J'ai réussi à panser mes plaies avec la musique. Aujourd'hui, je me sers de la comédie pour faire sortir mes émotions. J'aurais pourtant besoin d'aller chez un psychothérapeute, mais ça attendra. Un acteur connu me disait récemment que, dès l'instant où l'on devient célèbre, on devrait suivre une thérapie. On devient un animal étrange. Je partage totalement son point de vue.
Quand avez-vous pris conscience que vous aviez une voix extraordinaire?
C'est ma mère qui s'en est aperçue la première. Elle était chanteuse d'opéra et répétait Rigoletto depuis des semaines. Un jour, elle s'est trompée et m'a entendu lui dire: “Non, maman, ce n'est pas ça.” Puis j'ai commencé à chanter en italien, dans la bonne tonalité. Elle m'a regardée avec des yeux ébahis. Je devais avoir 3 ans et demi et je chantais tout le temps. Même la nuit: j'emportais le transistor de notre cuisine dans ma chambre, je le cachais sous mon oreiller et passais des nuits à chanter toute seule. Je ne pouvais pas dormir. Je commençais à avoir des insomnies, que j'ai toujours d'ailleurs. Je dois prendre des somnifères pour simplement dormir quatre heures. Un jour, je devais avoir 7 ans, avec une copine, nous chantions sur le chemin de l'école. Elle s'est arrêtée au milieu du trottoir pour m'écouter: “On a l'impression qu'il y a de la musique derrière ta voix,” m'a-t-elle dit. C'est là que j'ai réalisé que j'avais peut-être une jolie voix.
Qui étaient vos chanteurs favoris?
Mon frère et ma sœur étaient plus âgés que moi et m'ont fait découvrir Jimi Hendrix, Stevie Wonder, puis Michael Jackson.
Y a-t-il un genre de musique que vous n'aimez pas?
J'apprécie l'opéra, je pense que les chanteuses d'opéra sont les plus grandes techniciennes, mais j'en ai tellement entendu enfant que j'ai fait un blocage. Je peux toujours apprécier la force d'une interprétation, mais ça ne me touche pas au plus profond de moi.
Il paraît que vous n'aimez pas qu'on dise que vous avez une voix “noire.” Pourquoi? C'est plutôt un compliment!
Ce n'est pas exactement ça. Je n'aime pas qu'on dise que je suis une Blanche avec une voix de Noire parce que c'est faux. Mon père est noir et ma mère est irlandaise. J'ai du sang noir dans mes veines, donc je ne chante pas “comme” une Noire. Cela ne se voit pas sur ma peau, d'où la confusion.
Vous composez la plupart de vos chansons. Ecrivez-vous sous l'emprise “d'inspirations fulgurantes”?
Cela me vient souvent la nuit. Dès que l'ai une mélodie, je l'enregistre pour ne pas l'oublier. Je ne sais pas lire la musique et je joue à peine du piano. J'ai pris des leçons lorsque l'étais petite mais cela ne me convenait pas. On voulait me faire apprendre le piano avec méthode. J'avais une très bonne oreille et ie trichais en jouant les morceaux instinctivement et sans lire la partition. Dans un sens, cela m'aide parce qu'il m'arrive parfois de trouver des trucs auxquels un vrai pianiste ne penserait pas forcément. Souvent, j'ai un morceau dans ma tête et je le fredonne [… ce qu'elle fait et c'est vrai qu'il se passe quelque chose lorsqu'elle chante…] à un ami musicien en lui disant: “Voilà ce que j'entends, joue-le moi.” Ma mère a accepté que j'arrête le piano.
Elle était très artiste, très libre, un peu bohémienne. Elle m'a laissé faire ce que je voulais. Aurait-elle été un peu plus stricte, ma vie aurait été plus facile, mais je ne regrette rien.
Vous dites pourtant avoir détesté votre enfance.
Je ne l'ai pas détestée. Certains aspects ont été difficiles. Le mariage interracial n'a pas été le plus facile, et encore moins lorsque mes parents se sont séparés. Mon frère et ma sœur ont morflé, plus que moi, mais j'ai connu des moments que la plupart des enfants ne connaissent pas. Et c'est tant mieux. Des disputes effroyables à la maison, des bagarres dans le quartier… Mais je n'aime pas en parler parce que je ne suis pas seule concernée. Je n'ai pas envie de me faire une gloire de ce qu'ont dû subir mon frère et ma sœur. Cette enfance m'a définitivement fait sentir que j'étais différente.
Votre père est parti lorsque vous aviez 3 ans. A-t-il cherché à vous recontacter après votre énorme succès?
Mes parents se sont séparés d'un commun accord. Ils n'étaient tout simplement pas faits l'un pour l'autre. Nous sommes si différents… Il est ingénieur en aéronautique, il est très technique et je suis tout le contraire. Longtemps, je ne l'ai vu que le dimanche. Je le vois davantage maintenant. J'ai envie de mieux le connaître, d'avoir son point de vue sur l'histoire de notre famille. J'ai rencontré sa mère, une vieille Noire qui habitait Harlem et qui s'est saignée aux quatre veines pour l'envoyer à l'université. J'ai retrouvé son père aussi. Il est vénézuélien et s'est remarié. J'ai très peu connu la famille de ma mère parce qu'elle a été répudiée après avoir épousé un Noir. C'étaient des Irlandais catholiques très stricts. Petite, je me demandais si la famille de ma mère ne nous avait pas désavoués par ma faute. Si l'union de mes parents était “mal,” que suis-je, moi, alors? Mon père n'a jamais été impliqué dans ma carrière, il ne connaît même pas ma musique… Il n'a appris que l'année dernière que j'étais numéro un…
Même s'il ne dit rien. il doit être incroyablement fier de vous…
J'espère… Je ne sais pas… mais j'espère. Il ne regarde pas la télé, n'écoute pas la radio. Il ne m'a jamais rien dit là-dessus, ne m'a jamais rien demandé.